Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Qui dit mot dit mot

Archives
Publicité
24 septembre 2017

Chaos formel pour une tragédie pyromantique

 

Après La dispersion (1969), Fils (1977), Un amour de soi (1982), La vie l'instant (1985), Serge Dubrovsky (1928-2017) dévoile dans Le livre brisé (1989) son intimité conjugale avec Ilse, une autrichienne 23 ans plus jeune que lui. Par l'écriture, le nonce impudique de l'autofiction se venge de la vie et de ses petites misères. Roman après roman, il digère les morceaux amers de l'existence, règle ses comptes avec les femmes qui ont compté, solde les mécomptes : « Si j'écris, c'est pour tuer une femme par livre ». Jamais il n'aurait imaginé que cet épigramme métaphorique se dépouillerait un jour de son symbolisme et se transformerait en prophétie.

 

Le livre brisé s'ouvre sur la période sombre des années 40, sur la terreur du jeune Doubrovsky d'être raflé. Des mois à se terrer tel un animal traqué, à faire le mort pour ne pas crever. Alors que la France commémore le quarantième anniversaire de l'armistice, l'écrivain d'origine juive se souvient qu'il l'a échappé belle, d'un rien. Sauvé par sa bonne étoile, en la personne d'un gendarme prévenant la famille Doubrovsky de son éminente arrestation. À l'approche de la soixantaine, Doubrovsky fait le point, rafraîchit son passé, défriche ses souvenirs et dépose sur le papier un bilan déplumé de toute vanité : « Qu'est-ce que j'ai fait de ma survie ». Nostalgique, il ressuscite l'un après l'autre ses amours de jeunesse. Impair monumental. Ilse, son épouse, met le holà, se cabre à la lecture du manuscrit, vitupère, rue dans les premiers rencards de son mari. Elle exige d'être au cœur de l'histoire, au centre de l'arène et du halo littéraire : « Puisque je partage ta vie, je partage ton livre ! ». Doubrovsky, quinaud, obtempère. Interruption involontaire romanesque. Il veut à tout prix éviter une nouvelle guerre. Fût-elle des sexes. Il a déjà essuyé sa ration de tranchées conjugales. Il aspire désormais à naviguer sur un long fleuve tranquille et désamorce tant que possible les conflits. Il prend donc l'embranchement, change son fusil d'épaule, déporte le récit sur sa romance avec Ilse, laquelle se déploie entre la France et les états-Unis où Serge enseigne. Tout sauf une sinécure. Chez Doubrovsky, l'amour n'est pas de tout repos : « Si on pouvait se lire mutuellement dans les pensées, pas un couple qui n'éclaterait au bout d'une heure ». Les différences d'âge, de caractère, de projet de vie écartèlent l'union sacrée. Les divergences diluent l'idylle. En guise de discorde cardinale, Ilse entend procréer, Serge simplement créer. Quand Ilse force le barrage, Serge surélève les remparts : « Si tu ne te fais pas avorter, je divorce ! ». Bagatelles pour un massacre.

 

D'avortement en fausse couche, le couple déraille, subit l'hémorragie des sentiments. Ilse perd le nord. L'inassouvissement de son désir d'enfant avive ses écarts cyclothymiques. De déprimes en bitures, Ilse écope, s'enfonce, se détruit à petit feu. De fréquents orages éclatent. Font tanguer le conjungo. Le professeur, déboussolé, en perd son latin et sa maîtrise : « Quand ma femme a ses excès de boisson, j'ai mes accès de meurtre ». Pluie d'injures, rafales de torgnoles, raffut domestique, rififi à New-York, ramdam à Paname. La fureur de vivre se déchaîne en d'apocalyptiques sérénades. À deux on est plus fort, la puissance de l'égo culmine, l'orgueil se rengorge, les escarmouches font plus mal. Sur le versant nord de sa destinée, Doubrovsky ne peut se passer de femme, la solitude le ronge, l'absence de l'être aimé l'angoisse. Sur le versant sud, l'osmose à deux semble utopique, impossible. Équation insoluble, entre-deux intenable. Jamais en paix avec lui-même, le rescapé de la guerre : « Le malheur, c'est que les autres, si l'on n'est pas construit pour vivre avec, on est encore moins bâti pour vivre sans. Voilà où le célibat me blesse. Tout seul, je suis l'ombre de moi-même ». Le spécialiste de la littérature française accommode le Cogito cartésien à sa sauce : « Elle pense à moi, donc je suis ». Serge et Ilse s'aiment, entre coups et caresses, s'entredéchirent. Ciel écarlate entrecoupé d'azurs furtifs. Paroxysme passionnel. Requiem pour un désastre.

 

Au fur et à mesure de l'élaboration du roman, Ilse joue le rôle de critique et de boutefeu. Elle pose ses critères, porte la contradiction, émet des réserves, enrichit le regard borgne de l'égographe. Elle parasite son péan iréniste, édulcore son outrecuidance, épingle sa complaisance. Cisaille, ergote, pinaille. L'auteur n'est plus maître en sa demeure littéraire. Éjecté de son piédestal, il doit composer avec l'intervention intempestive et les chinoiseries quérulentes d'un tiers. L'épouse zélée veille au grain, sélectionne les semences, écarte l'ivraie, réfrigère l'ivresse du créateur tout-puissant. Doubrovsky boit la tasse, le calice jusqu'à la lie. Jusqu'à l'hallali final.

Loin d'être un huis clos entre les deux tourtereaux, Le livre brisé multiplie les entrées. Doubrovsky digresse, dévide à l'envi les fils de son passé, pioche dans ses souvenirs d'enfance, se penche sur la vie de Sartre qui s'épanche dans Les mots. Il se livre également à une profonde réflexion sur l'acte d'écrire, exercice auquel il est irrémissiblement lié à la vie à la mort : « Dans les mots, j'ai trouvé LE remède... Par écrit, notre vie prend sens ». Mais l'écriture, en rendant l'existence de Doubrovsky consistante, l'en éloigne également. Nouvelle aporie : « Un mec tordu, un sacré zigue. En zigzags. Toujours entre le zist et le zeste que j'existe ». Doubrovsky se donne corps et âme à la littérature. Au détriment de ses proches. Il reste sourd aux signaux de détresse, aux suppliques de sa femme. Dans ce désordre artistique, ces incessants aller-retour entre le passé et le présent, le futur antérieur et le moins que parfait, la tragédie prend peu à peu sa texture définitive.

 

Ilse, coriace, met le pape de l'autofiction au défi de dire toute la vérité. Elle l'exhorte, le provoque tandis que lui, hésite, tergiverse, tenaillé par un mauvais pressentiment. Finalement, tel un bellâtre plongeant d'un promontoire, il relève le challenge de l'absolue transparence. Sans se rendre compte que certaines révélations pourraient ébranler la femme fragile qu'est Ilse. À trop jouer avec le feu, les apprentis artificiers risquent de réduire en cendres leur amour.

Quand Doubrovsky apprend par téléphone la disparition soudaine de sa femme, il décroche, son âme s'empale sur le néant, ses espoirs partent en fumée. Trou noir. Funérailles. Incinération. Réminiscence crématoire. Réplique holocaustique. Fin du roman ? Pas tout à fait. Dévasté, le veuf se raccroche aux mots, dévie le cours de son récit. L'archéographe, dégrisé, s'arrache à son égophorie, consacre la fin du livre à sa défunte femme. À sa poisse, ses appels à l'aide, ses tocades suicidaires, ses leitmotivs térébrants. Ilse n'a jamais été aussi présente dans la tête et le cœur de Serge que depuis qu'elle a déserté sa vie. On ne meurt pas à 37 ans. Brisé par le deuil, Doubrovsky ne comprend pas, se cogne à la vacuité, se rencogne dans sa prison, l'introspection. Il enquête, rembobine le fil de leurs ultimes conversations, se remet en cause, culpabilise. Il trace l'origine, la raison de ce suicide accidentel. Jusqu'à en perdre la sienne. La vie tient à peu de choses. Serge serait-il responsable de la mort de sa femme ? Ilse est-elle la dépouille sacrificielle de l'écriture ? La plume de l'écrivain est-elle l'arme du crime, l'instrument à vif de la torture ? « Mon encre l'a empoisonnée ». La lecture du chapitre « Beuveries » a-t-elle achevé celle qui se défendait d'être alcoolique ? Doubrovsky, l'homme, est-il un monstre ? Début de réponse à la fin du livre : « Ma vérité pue ».

 

Le livre brisé, Prix Médicis 1989, est une œuvre unique dans l'histoire de l'art, un récit éminemment troublant dans la mesure où une personne en chair et en os en infléchit le cours, d'abord par son immixtion dans la narration puis par son décès, lequel bouleverse l'auteur. Doubrovsky brouille avec maestria la frontière entre le réel et le littéraire, décape la ligne de démarcation entre le vécu et l'écrit : « Ma vie est le support de mon roman, mon roman est le soutien de ma vie ». Héraut de l'autofiction qu'il définit comme « un récit dont la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement fictionnelle », Doubrovsky retranscrit son expérience, s'attelle à « dégraisser la banalité du quotidien, garder le nerf, la nervure de la vie ». En orfèvre de la décantation solipsiste, Doubrovsky filtre, condense, sublime, quitte à ne garder que la part la plus rutilante de la vérité : « Dès qu'on raconte, on truque ». Sautillant de période en période tel un somnambule errant dans les limbes du révolu, Doubrovsky se joue de la temporalité, déjoue tous les repères. Il compose à l'aveugle une chorégraphie du fragment et embarque dans cette valse chronocidaire sa moitié, à demi mutilée.

L'architecture déstructurée, disloquée, désordonnée de ce roman recèle un travail colossal sur le langage, le signifiant, les sonorités. La prose martyrisée de ce texte truffé d'ellipses, rempli de blancs, émaillé de majuscules réverbère la puissance lumineuse de l'inconscient, en transfigure l'incohérente éloquence. Les phrases cahotantes, atrophiées, dépourvues de ponctuation reflètent une langue en loques elle-même révélatrice d'une personnalité fracturée, d'une conscience émiettée, d'un schème schizophrénique. En rapiéçant ad infinitum son passé, Doubrovsky tente de ravauder une identité précaire, claudicante, lacunaire. Il lui manque d'avoir tué ou d'avoir péri durant la guerre. D'avoir agi.

Cette quête infinie et infernale a conduit Doubrovsky, perpétuellement tiraillé entre la France et les états-Unis, entre le français et l'anglais, entre l'écriture et l'enseignement, entre l'ipséité et l'altérité, à construire, livre après livre, au gré d'une sciamachie acharnée contre l'indicible, une fresque intime majestueuse, faite d'ombres et d'arabesques : « À force de jouer, de roman en roman, au Narcisse fictif, je suis attelé à un travail de Sisyphe ».

 

 

Publicité
Publicité
30 juillet 2014

Nocturne rencontre

Je gravissais l'escalier, grisé et hagard,

Des ombres en dentelles s'amusaient sur les murs. 

Elle semblait prude, je passais sans la voir, 

Sous mon étau cranien éclataient des gravures. 

 

Nos deux bouches à la dérive se sont heurtées, 

Sa langue sentait l'agapanthe et le bois vert, 

L'alcool en moi déployait ses doigts insensés 

Et fouillait sa vertu tel un troupeau de vers. 

 

Ses mains venaient en vagues, crispées sous les draps, 

Elle rêvait de port, de douceur et d'intime  

Et se voyait demain enlacée dans mes bras,  

Mais mon regard acier refluait vers l'abîme.  

 

Quand le sommeil lui vint, tel un ciel menaçant,  

Je la brimbalai avant l'aube du matin,  

La chassai de mon lit, loin de ce court printemps,  

Tel un voyageur crachant sur le dernier train. 

 

 

25 juillet 2014

Contretemps

Dans le dédale et l'acier

Je m'étends,

Dans l'abîme et le gravier

Je descends.

 

Un roulis perce mon coeur

Je consens,

L'acédie plante sa fleur

Dans mon sang.

 

Qu'elle est belle l'enfance

Aux multiples passés

Qui nous abuse et danse

Dans sa robe volée.

 

Egaré dans le noir

De ce monde borné

Je ne vois qu'un espoir

Celui des jeunes années.

25 juillet 2014

Les vacances de Markus: pièce de théâtre en forme de farce

29 janvier 2014

Sauvée

Esther marchait depuis plus de 4 heures. Jamais au cours de sa fuite elle n'avait consenti à faire la moindre pause. Elle transpirait comme elle ne l'avait pas fait depuis longtemps. Elle avait rassemblé ses dernières forces et avait attendu le moment propice pour s'éclipser

Elle avait franchi deux rivières, s'était frayé un chemin dans le sombre enchevêtrement de la forêt puis avait gravi la montagne. Ses pieds étaient entaillés à plusieurs endroits. Elle retira ses sandalettes. Ses mains, à force de s'accrocher aux branches, à force de s'agripper à la roche, étaient en feu. 

La douleur rendait son existence manifeste. Enfin.

Mue par la répulsion à l'égard de son proche passé, elle était parvenue à se hisser au sommet de la montagne, sans trop savoir où cette fuite éperdue la mènerait. 

Elle se sentait libre. A bout, mais libre. Lavée, dépossédée d'un mal invisible, d'une omniprésence implacable. Elle ressentait de nouveau sa singularité. Elle contempla la beauté du paysage et oublia ses blessures. Elle pensa à l'archéologie, la passion de sa vie, trop vite interrompue. 

Elle pensa à Jean, resté à paris. Elle l'avait rencontré dans un café du quartier du marais. Son regard perçant et sa coupe de cheveux hallucinée à la Tanguy, le peintre surréaliste, l'avaient hypnotisée. Quelques jours avant la disparition d'Esther, Jean s'était plaint de ses voyages prolongés à l'étranger.    Il l'avait menacée d'arrêter. Non, le verbe "menacer" était trop fort, Jean était suffisamment mûr pour savoir que la menace était un virus pour le couple. Disons que c'était une perspective qu'il envisageait sérieusement. Esther aimait Jean, mais pas au point d'espacer ses missions professionnelles aux quatre coins du monde.

Suite à sa disparition, Jean ou peut-être les parents d'Esther (malgré ses rapports distants avec sa mère) avaient probablement alerté les autorités françaises et brésiliennes. Mais 6 mois après, étaient-ils encore à sa recherche ?

Du haut de la montagne, elle distinguait vaguement le lieu où elle avait vécu pendant près de 6 mois. Elle n'en revenait pas. Elle s'en était sortie. Indemne. Ou presque. Sans séquelles apparentes. Elle avait réussi l'ultime défi de sa vie. 

Elle hurla, et ainsi déchargea ce qui sournoisement, inéluctablement avait grignoté son intérieur depuis plusieurs mois.

Elle avait survécu à ce lieu étrange. Un lieu hanté par l'expérience scientifique. Une expérience étrange et tordue instillée par de supposés savants qui aimaient se faire appelés les "défricheurs de la conscience humaine". Leur obsession actuelle consistait à exposer l'individu. Intégralement. Sans possibilité de se soustraire au regard de l'autre, de se retrouver seul. Les scientifiques consignaient le comportement et les réactions des cobayes soumis à ce dispositif .

L'ancienne cabane d'Esther comportait 2 pièces: une chambre et une cuisine. Elle faisait ses besoins dehors et se lavait dans la rivière qui coulait 20 mètres en contrebas. Dans chaque pièce étaient positionnées 2 caméras. 5 caméras supplémentaires quadrillaient le camp extérieur. Ses voisins visionnaient sa vie. La transparence à l'état brut. 

Elle avait fini par se sentir sans intérieur, creuse, puis finalement invisible. De sujet elle était devenue un objet permanent, sans émotions ni sentiments.

Elle savait qu'en s'échappant de ce camp perdu dans la jungle brésilienne, ce lieu où l'autre et sa conscience morale pesaient comme un couvercle, où l'intimité, la solitude et le secret étaient proscrits, elle mourrait vraisemblablement. Le milieu naturel était particulièrement hostile et aucune présence humaine n'était détectée à moins de 300 kilomètres. 

Peu lui importait, elle avait déjà goûté au mets amer de la mort... 

 

 

Publicité
Publicité
16 décembre 2013

Manoir

Au pied d'un manoir perdu au creux des montagnes, les tiges des arbustes craquent sous les coups assassins de l'hiver, laissant le givre qui les recouvre s'abattre sur le sol, dans un silence étincelant.

Du manoir au loin la forêt laisse filtrer une lumière fluette qui perce la brume, inonde la froide vallée et guide l'homme transi sur le chemin de l'oubli.

27 novembre 2013

Lire

Lire pour tolérer la vie, le temps, pour planer au-dessus du néant.

25 octobre 2013

A ceux ou celles dont les larmes voilent le destin

Au fil de l'existence,

Devant nos pas, le chemin se rétrécit parfois.

Saturé de silence,

Apparaît alors en contrebas,

Vertige majestueux,

Le précipice originel

Dont les plus purs reflets

S'élèvent jusqu'au ciel.

21 septembre 2013

Evanescence

Il croise la nuit

Elle le comprend

Elle lui sourit

La main elle lui tend

Ravi il la saisit

Et le jour se répand.

21 septembre 2013

Volupté marine

Dans le souffle de tes lèvres

Résonne

Le fracas de la mer.

Publicité
Publicité
1 2 3 > >>
Publicité